Dans la peau d'EmileRécit d'une vie en Forez


1 – Prologue

Au moment de pousser le portillon de la cour, je me demandai soudain ce que je faisais là.
J’étais passé devant sa ferme depuis des années sans m’arrêter. Aujourd’hui, par un vilain temps brouillasseux de novembre, je décidai, pour je ne sais quelle raison, de revoir ce très ancien camarade de classe. Était-il toujours là ?


Année 2013

Pour accéder au bâtiment on devait traverser une cour parsemée de plaques d’herbe humide, de flaques boueuses et de gravier. Quelques poules au cou bizarrement nu et un superbe coq y picoraient.
Maison d’un étage en bon état malgré un crépi grisâtre et fendillé, façade classique, des fenêtres de part et d’autre de deux portes. Plusieurs granges sur la droite, toutes verrouillées, sauf une dont les portes grandes ouvertes laissaient voir une petite voiture blanche. Je pataugeai dans la gadoue, hésitai un instant devant une porte vitrée, frappai le moins fort possible, attendis ce qui me sembla une éternité, la bruine dégoulinant de mon chapeau. Comme personne ne se manifestait, je poussai le vantail et pénétrai dans un couloir sombre et glacial. Guidé par des voix, je découvris trois hommes assis autour d’une table. Un gros, costaud, trônait au milieu des deux autres plus fluets, l’un deux était coiffé d’une casquette.
Ils me fixaient en silence sans aucune surprise, les visages rougis par la température élevée qui régnait dans la pièce. Deux chiens frétillant de la queue s’approchèrent nonchalamment de moi et reniflèrent le bas de mon pantalon. Un gros chat noir dormait dans une cagette près du fourneau. Une alléchante odeur de soupe flottait dans l’air. Le comité d’accueil était en place.
J’hésitai de nouveau, peur de faire une gaffe. Lequel était Émile Bonnefoy ?