Au bar t'abats


Les personnages

  • Manuel Letourneur. Anarchiste, il oscille entre le salon de coiffure de Nelly, les hôtels, les pensions… Il essaie de restaurer un vieux Romano. Amateur de bière, il déteste le vin.
  • Nelly. Coiffeuse, dont la couleur favorite est le rose. Compagne de Manu.
  • Raoul. Patron du bar restaurant «La Part des Anges ».
  • Carmen. Femme de Raoul.
  • Rosa. Serveuse.
  • Léon. Le chien du propriétaire du restaurant.
  • Sardbroux. Membre des Renseignements généraux. Ennemi intime de Manuel, bien qu’il lui rende quelques services à l’occasion. Son nom correspond à Broussard en verlan, clin d’œil au célèbre Commissaire Robert Broussard.

Auteurs René Neyret
Année 2019


Chapitre 1 – Simone et Marcel Deville

Marcel Deville est un homme d’habitudes.

Été comme hiver, depuis 30 ans, il se lève quand sonnent six heures au clocher de l’église Sainte Thérèse de Châtenay-Malabry.

« Il me semble que le père Hoang n’est pas passé cette semaine. Sympa ce curé, plutôt jeans que soutane noire et surtout amateur de bon vin. J’espère qu’il n’est pas malade, » se dit-il.

Après avoir apporté le petit déjeuner à Simone, sa femme, il ouvre le bar-tabac-PMU-Plat du jour Les Acacias à 6 heures et demie.

Arrivent d’abord les travailleurs manuels, ouvriers et artisans au double express parfois avec un fond de calva, puis les cadres joggers aux oranges pressées, Perrier rondelle et tartines beurrées – après l’effort le réconfort – et les parentes d’élèves au capuccino avec croissant, et enfin, parfois, une des amazones brésiliennes du bois de Verrières qui s’offre une menthe à l’eau sur le chemin de son terrain de chasse.

Les habitués, chômeurs, retraités, et autres fainéants arrivent en rangs serrés pour l’apéro, qui raisonnablement commence à 10 heures 30.

Marcel connaît bien son monde : une gentiane pour le natif d’Aurillac, un 51 pour le supporter de l’OM, un whisky pour le docteur qui part en tournée, une anisette « comme là-bas » pour Monsieur Ramirez et un coca light pour la petite coiffeuse d’à côté.

Vient alors le moment de préparer la salle pour le déjeuner. Marcel s’y emploie avec Rosa la nouvelle serveuse encore à l’essai. Simone est aux fourneaux, secondée par un jeune pakistanais qu’on appelle par facilité l’Indien. On fait simple et roboratif aux Acacias. Aujourd’hui, le plat du jour, c’est paupiettes de veau et clafoutis aux cerises qui feront un tabac.

Marcel a concocté une carte de vins bio qu’il a intitulée, il en rit encore, « Chais et rasades ». Élevé au Beaujolais par ses parents originaires de Juliénas, il s’est peu à peu éloigné du terroir natal pour apprécier des pinards improbables, fabriqués en respect du sol et du raisin, par des illuminés qu’il va rencontrer dans les foires aux vins ou dans leurs garages lors de ses expéditions estivales.

Peu à peu, non par chauvinisme mais par souci d’être complet, il a engrangé dans sa cave et inscrit sur sa carte tout ce que la France produit de meilleur, en biodynamique sans sulfites, sur le fruit, et pas malade le lendemain. Ceci lui vaut une notoriété au-delà du périphérique auprès de connaisseurs qui en profitent pour déguster la tambouille de Madame et la féliciter.

Après les agapes, Marcel aide à remettre la salle en place pour l’après-midi et s’octroie une demi-heure de sieste. La routine reprend avec la clientèle de passage : un café, des clopes, un ticket de PMU. L’heure de l’apéro sonne à 18 h 30 avec les mêmes et aussi les employés des bureaux alentour qui profitent de « l’heure heureuse » avant de rejoindre bobonne et les moutards.

On s’égaie à l’heure du journal télévisé et Marcel tire le rideau à 20 h 30 pour rejoindre Simone dans leur appartement au-dessus. Un repas frugal devant la télé et dodo car demain on embauche à l’aube.

Il n’y aura pas de lendemain pour Marcel car dans la nuit il meurt, assassiné.