Fausse Donne

Fred Montal tient à sa tranquillité.

Il pense qu’il suffit de s’asseoir dans un fauteuil copie conforme de celui de Philip Marlowe, de mettre les pieds sur le bureau et de vider quelques bouteilles de bourbon pour devenir un privé perspicace.

Un vieil homme venu providentiellement mourir sur son épaule lui donne l’occasion d’exercer ses talents. Á partir de là, tout se complique. Grâce aux renseignements avisés d’un quasi-centenaire coiffé d’une casquette des ninety niners, Fred est conduit à escalader nuitamment la grille d’un pavillon de banlieue. Tandis que les paroles des Stones rythment les étapes de son enquête, il devra même se ravager l’estomac au muscat dans un troquet de province.

Le détective peinard devra apprendre à naviguer entre flics et truands, manipulations et menaces.


Année 2019
Editeur En cours
Avec Bruno Ceccarelli
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Six – Papy Terrot

Jeudi 19 juin – 11h00

Place des Abesses – Cachan, via la Bastoche, Bercy, les quais de Seine, l’autoroute A3 et surtout Atlantic City en moins de trente minutes, pas mal. Mais ensorcelé et rendu inattentif à la circulation par le super CD, j’avais traîné en route, j’aurais pu faire mieux, m’étais même un peu paumé en fin de parcours. Toutes les rues se ressemblaient et mon plan de banlieue avait plus de dix ans d’âge.

Roger habite, enfin, habitait – à l’heure qu’il est il doit plutôt squatter la morgue de l’IML, quai de la Râpée, le bien nommé vu l’état de ses pensionnaires – un petit pavillon dans une rue fort justement qualifiée dans le langage populaire et par les agences immobilières, de pavillonnaire.

La rue Sainte-Catherine comptait une grosse vingtaine de nids de poule dans la chaussée et une trentaine de numéros de part et d’autre. De loin, le 17 de Roger ne se distinguait en rien de ses voisins. Du pavillon standard en meulières, du jardin cloné.

Je passai devant les maisons au ralenti en faisant mine de ne pas regarder. L’air du mec qui fait du tourisme à Cachan. Coincé entre le 15 bis et le 19, le 17 : un rez-de-chaussée, un étage, certains volets fermés, d’autres ouverts. Un minuscule jardin sur le devant, une haie miteuse et mal taillée, dont un arbuste sur deux était jaunâtre. Un portail en fer forgé, rouillé de place en place et qui avait dû être peint en vert il y a un siècle. Impression de tristesse et d’abandon.

Pas un chat en vue, ni dans la rue ni, dans ce que je voyais, des jardinets. Je m’arrêtai sur le trottoir, un peu à l’écart du portail vert et rouillé pour ne pas avoir l’air de rendre visite au 17. Il me semblait que je pourrais plus facilement expliquer pourquoi je me rendais au 19, plutôt qu’au 17.

Je retirai mon casque de moto alors que Mick soutenu par plus de 100 000 gosiers américains hurlants envoyait (I Can’t Get No) Satisfaction. De mauvais augure, mais je ne coupai pas le lecteur de CD pour écouter Gimme shelter, un abri… le pavillon de BV ? et fis semblant de regarder ce qui se passait au niveau de ma roue avant. Simulant, pourquoi, pour qui, mon Dieu un problème mécanique ? Trop lu de polars. J’avais l’impression de faire ce qu’un auteur attendait de son héros. Un peu comme si je n’étais pas impliqué et que quelqu’un tirait les ficelles.

Il était onze heures sept à ma montre. Je ne sais pas pourquoi j’avais regardé et noté mentalement l’heure. J’avais l’impression que je faisais des trucs inhabituels et que j’entrais dans une problématique où j’aurais ultérieurement des comptes à rendre. À qui ? Aux chbebs ? Aux héritiers de Roger ? À moi-même ? Au créateur ? Au Président du tribunal qui me jugerait ?

« C’est exact, monsieur le Président, il était onze heures sept quand je suis descendu de mon scooter à proximité du domicile du défunt. »

Je ne savais plus trop quoi faire et ne pouvais pas rester plus longtemps accroupi à regarder le frein à disque. Mon lecteur de CD programmé sur un fonctionnement en boucle, séquencement aléatoire, me balançait à nouveau : « The greatest rock’n’roll band in the… world… Ladies and… »